Su sanxleẽn booloo wot wer / Les fourmis se rassemblent pour trouver le bien-être
Béy, bu àndul ak béy, ànd ak cere / les chèvres qui quittent le troupeau se retrouvent en compagnie du couscous
Proverbe Wolof
En ce moment même, au-dessus de nos têtes, des milliers d’oiseaux volent en groupe. D’une minime inclinaison des plumes naît un moment collectif qui, tout en offrant une protection, permet une plus grande efficacité sur des vols de longue distance. Vues depuis le sol, ces volées semblent parfaitement synchronisées, un prodige que les scientifiques essaient encore de comprendre. D’autres animaux, tels que les poissons ou les insectes, réalisent aussi des actions en parfaite unisson, un phénomène par ailleurs appelé Allélomimesis ou Allelomimétique ; le terme allele, en grec ancien, décrit les relations que nous avons les uns envers les autres, tandis que mimesis signifie imitation.
De nos jours, dans le domaine des sciences, l’accent est souvent mis sur cette tendance à imiter et la modélisation de l’allélomimétique a été utilisée pour étudier le comportement d’entités aussi diverses que les poissons et les sociétés financières. Alors que l’imitation a en général une connotation négative, il pourrait être bénéfique d’étudier notre tendance apparemment naturelle au mimétisme en fonction de l’allèle, notre capacité innée à vivre en relation les uns avec autres. Lorsque ces deux concepts fusionnent pour permettre aux abeilles de former un essaim et d’entreprendre des actes qui seraient illogiques s’ils étaient individuels, de nouveaux types de relations plus complexes se développent dans l’espace situé entre chacune des abeilles. Un battement d’ailes, banal en soi, peut produire un impact plus important lorsqu’il est réalisé avec d’autres, semblables êtres ailés.
Cette activité fascinante et naturelle est un point de départ utile Etat des Lieux 4 : Sortir du rang : collectifs artistiques et parallélisme translocal, un forum traitant des pratiques et des formes de production en prenant pour principe directeur le groupe organisé suivant un mode de coopération non-hiérarchique. Tandis que le Dhaka Art Summit (DAS) 2020 Mouvements Sismiques nous invite à réfléchir sur les bouleversements géographiques ou temporels de grande envergure causés par le relâchement d’une pression, l’Etat des Lieux 4 explore les exemples de collectivités, historiques et contemporaines, afin d’étudier l’ampleur du changement que nos relations peuvent susciter. Les rêves de coopération ne se réalisent pas toujours et nous devons admettre que le même esprit de résistance, de survie ou de prédation qui facilite l’action collective peut décliner ou bien avoir un effet inverse, en laissant des membres du groupe hors de celui-ci. Cependant les champs d’intervention, aux niveaux esthétique, physique ou social, qui se trouvent au cœur des collectifs et qui les alimentent, méritent toute attention, en particulier étant donné le rôle qu’ils jouent par rapport aux mouvements sismiques qui sont l’objet de DAS 2020.
Ce symposium, à travers sa forme et son contenu, s’ouvrira aux différents champs de recherche issus d’une pratique collective, en portant une attention particulière au continent africain et au réseau de solidarités internationales qui s’entremêlent tout autour. Des auteurs et des commissaires d’exposition dialogueront avec des membres de collectifs, permettant de mettre sur le même plan l’analyse critique, les données historiques et la pratique. Nous commencerons par analyser sur le plan esthétique le collectif et les modèles, structures et formes qui naissent, à la fois sur le plan organique et stratégique, lorsque nous nous rassemblons. En ce qui concerne le rassemblement que constitue CR4, lors du DAS 2020, nous prêtons attention aux cadres structurels et esthétiques dans notre « boite à outils », une expression que nous empruntons à la commissaire Zoe Butt, et nous envisageons le symposium à partir de la structure du Penc sénégalais. Le Penc est un endroit précis dans l’espace public, à l’intérieur duquel les membres de la communauté peuvent se réunir pour régler les problèmes et s’organiser en concertation les uns avec les autres. En général situé à l’extérieur, à l’ombre d’un grand arbre, l’espace que nous utilisons à Dhaka est destiné à laisser l’extérieur pénétrer l’intérieur et vice versa. Nous proposons également ce modèle pour répondre au grand nombre de pratiques collectives qui sont actuellement menacées par le déplacement de communautés entières, pour des raisons économiques ou climatiques, et se trouvent donc coupées de l’espace concret qui participe activement à l’affirmation de leur existence collective.
Après avoir abordé les questions de forme, la discussion présentera différentes propositions pour historiciser les pratiques collectives. De nature polyphonique, les collectifs peuvent difficilement se réduire à une seule histoire. Leurs membres peuvent raconter des histoires différentes et même contradictoires, mettant en évidence des aspects particuliers de leur propre parcours ou des cercles plus larges à l’intérieur desquels ils évoluent, au-delà de la sphère du collectif en lui-même. Et pourtant, nous savons qu’il faut raconter ces histoires. Si nous acceptons cette réalité, pouvons-nous appréhender l’espace productif existant dans l’organisation en essaim de deux abeilles voisines ? Quelles approches historiographiques sont nécessaires pour pouvoir apprendre et tirer partir des bavardages, des témoignages ou incohérences ? Comment pouvons-nous « revendiquer l’histoire en tant qu’expérience participative », comme l’exprime Elvira Dyangani Ose ? Des collectifs tels que Laboratoire Agit-Art (Sénégal), Art Bakery (Cameroun), Invisible Borders (Nigéria), Keleketla! Library (Afrique du Sud), Chimurenga (Afrique du Sud) et The Nest (Kenya) contribuent au développement de mouvements artistiques et sociaux dans leurs pays respectifs, et nous nous devons de les mettre en avant. Le collectivisme international peut parfois être difficile à cartographier, à travers les frontières linguistiques et les pays ayant des rapports différents à la notion d’archive, et pourtant nous devons apprendre à devenir plus flexibles et plus créatifs dans nos méthodes historiographiques si vous voulons rendre justice à ces histoires.
En s’impliquant plus directement vis-à-vis de l’époque actuelle et de l’intérêt croissant porté au collectif et au collectivisme – en tant qu’« -isme » à part entière - que ce soit dans le monde de l’art ou des sciences humaines et sociales, nous nous poserons également des questions relatives aux relations existantes entre pratique collective et économie. Les concepts de structures de travail communes et non hiérarchiques sont-ils purement utopiques dans le cadre d’un modèle capitaliste avancé et mondial ? Les collectifs doivent-ils se tenir complètement éloignés du capitalisme pour être légitimes, ou bien, ainsi que le propose Blake Stimson – même s’il s’agit d’une provocation pour ouvrir le débat – la pratique collective doit-elle se ranger d’un côté ou de l’autre du schéma binaire privé/public ? Dans de nombreux cas, le manque d’institutions étatiques favorise l’émergence d’un grand nombre de collectifs plus radicaux. Qui plus est, alors qu’il serait dangereux de sous-entendre que l’individualisme n’existe pas en Afrique, nous ne pouvons que reconnaître les liens forts et complexes au niveau social et économique qui perdurent sur le continent et la manière dont ceux-ci encouragent, ou pas, l’action collective et la production et distribution économique. Comment les collectifs s’impliquent-ils dans des économies plus informelles, basées sur le troc, pour survivre, produire et résister et quelles leçons peut-on tirer de ces stratégies ? Par ailleurs, en remettant en question les approches traditionnelles du statut d’auteur et par conséquent de la propriété, les collectifs d’artistes permettent également de questionner et de récuser l’immuable et chimérique perspective unique de l’artiste mâle, portant l’attention à la diversité des capacités et des efforts nécessaires pour concevoir un projet et le réaliser.
Dans la même veine, cela vaut la peine de s’arrêter sur les diverses manières dont la pratique collective peut avoir une influence sur le fonctionnement de structures plus formelles, et d’envisager par quels moyens et à quelles fins il est possible de mettre en place de nouvelles synergies de soutien à travers différents secteurs. Les collectifs se déplacent souvent dans différents lieux ; ils peuvent également avoir leur propre espace semi-public dédié à leurs activités, ou intervenir et être invités dans des galeries ou institutions artistiques classiques, tout en travaillant également dans des espaces n’appartenant pas au monde artistique. L’impact d’une telle mobilité, tout en étant particulièrement fort, doit être exposé et pris en compte et peut donner naissance à de nouvelles manières de travailler et de co-exister à l’intérieur et à l’extérieur du soi-disant monde de l’art, qui bousculent les cadres existants. De nombreux collectifs tendent également à avoir une durée de vie plus courte que les institutions officielles et nous prendrons en compte la fin et la dispersion des collectifs à des moments clefs de leur existence, en s’inspirant du suicide public du Center for Historical Reenactments (Centre des reconstitutions historiques). Lorsque les oiseaux sortent de la volée, cela signifie que la nécessité qui les a fait se rassembler n’est plus d’actualité ; le danger est passé, ou bien le soutien aérodynamique qu’ils s’apportaient mutuellement leur a accordé suffisamment de temps pour se reposer. Être informé de la manière dont on peut se séparer, déplacer les énergies et accepter la fin d’une mission est une qualité que l’on examinera également ; qu’advient-il après l’onde sismique ?
Fondamentalement, CR4 est une invitation à penser au « nous » et aux formes que prennent les relations que nous entretenons les uns avec les autres. Nous établirons et interrogerons les stratégies qui permettent aux oiseaux de voler en groupe, de mener à bien leur tâche et ensuite de quitter la volée sans dommages, dans l’espoir de décloisonner ce domaine d’étude précurseur tout en apprenant et en s’exerçant à mieux vivre ensemble.
La structure de ce symposium est pensée pour prioriser des témoignages, discussions et performances de collectifs. Chaque jour commencera avec une performance ou projection de film, suivie de panels avec un thème général traité par des panélistes venant de collectifs différents, dont un collectif du Bangladesh. Les panels sont modérés par des commissaires ou historiens de l’art qui souligneront ou approfondiront les points de convergence ou de différence et les journées se termineront par un forum ouvert - le Penc - avec tous les intervenants de la journée, un moment de plénière pour une discussion avec le public.
Nous ouvrons avec une performance par l’initiative sonore bangladaise Akaliko afin de mettre en action et explorer la musique d’ensemble, une forme répandue de pratique collective. Tissant des fils sonores multiples du Bangladesh, cette performance est une invitation à nous ouvrir à des expériences de polyphonie.
Cette conférence examine les potentialités du collectif artistique lorsqu’il est placé dans ce que Povinelli appelle les “quatre axiomes de l’existence”: les enchevêtrements de l’existence; la distribution des effets du pouvoir et le pouvoir d’influence sur un terrain d’existence donné; la multiplicité et l’effondrement des formes d’événement; et la provincialisation et le danger potentiel des épistémologies et ontologies occidentales, ou, ce que l’on pourrait appeler la chute du géo-onto-pouvoir occidental. Quels travaux conceptuel, esthétique et politique peuvent émerger dans cet espace?
Ce panel s’interrogera sur l'esthétique formelle du collectif, et sur les formes et structures qui émergent de façon organique et stratégique quand nous nous attroupons. Est-il possible de tracer des principes esthétiques de collectivité, que ce soit dans l’organisation du collectif lui-même ou dans ce qu’il produit ?
Modéré par Marina Fokidis
Ce film, une initiative innovante qui emploie des méthodologies collectives pour revisiter une histoire partagée qui constituait une expérience en économies alternatives, pose les bases du deuxième jour. Le résultat d’un atelier tenu au Sénégal en 2018, le film tire des éléments de conversations avec Bouba Touré sur les archives de la coopérative Somankidi Coura et utilise des méthodes d’improvisation du Théâtre de l’Opprimé.
Ici nous examinerons différentes propositions pour l’historicisation des pratiques collectives, et des pratiques collectives pour écrire l’histoire. Par leur nature même les collectifs sont polyphones, et se sont ainsi avérés compliqués à ancrer dans un seul récit. Comment peut-on donc devenir plus souples et créatifs dans nos méthodologies historiographiques pour être à la hauteur de ces histoires ?
Moderé par Shawon Akand
Au sortir des indépendances, les réformes culturelles et artistiques constituaient une manifestation de l’agenda politique des gouvernements mis en place. Un des moyens de résistance principal était celui des collectifs d’artistes rebelles qui ont créé leurs propres pratiques économiques - humaines et monétaires - et qui ont ainsi développé un sens inouï de vigilance critique quant à l’usage de l’art et de l’artiste comme outils de manipulation politique. Au-delà de l’industrie de l’art, travailler, penser et agir ensemble continuent donc à constituer une économie incontournable pour remédier à la précarité qui touche bon nombre de collectifs.
Moderé par ruangrupa - Farid Rakun
Le dernier jour du symposium nous amène à la question de la fin. Pour cela, Joydeb Roaja et le Hill Group ont conçu une œuvre qui considère ce qui se passe quand les oiseaux quittent la formation de volée. Cette performance fait appel à une connaissance sur des séparations et changements d'énergies pour demander : que se passe-t-il après le mouvement sismique ?
L’identité première du collectif émane de ses membres et de la nature de son contexte de création. Qu’advient-il de cette collectivité quand un ou des membres se retirent ? Dans nombre de cas nous réalisons une intention claire de mettre fin à un effort collectif pour des raisons diverses mais quel langage nous faut-il pour avoir un regard générateur sur sa mort ou sa transformation ?
Moderé par Cosmin Costinas
Session plénière avec John Tain, Marie Hélène Pereira et Dulcie Abrahams Altass