RAW Académie Session 7, dirigée par l’artiste et cinéaste Eric Baudelaire, était consacrée aux films: aux nouvelles façons de voir, d'entendre, de partager et d’interroger les urgences du présent, non pas tant pour les expliquer que pour nous interroger nous-même face à elles. Sept semaines pour réfléchir sur le rapport entre images et événements, entre art et réel.
Bien qu’une définition partagée de ce qui constitue le réel nous échappe, nous avons imaginé cette session avec un grand amour pour celles et ceux qui se consacrent, de différentes manière, à le saisir, à étudier ses mécanismes, ou simplement à en éclairer un fragment. Les professeur.e.s invité.e.s de la Session 7 ont partagé ces préoccupations, et se sont engagés dans une réflexion sur le réel avec diverses mesures de fiction, d’invention, d’imagination et d’observation.
Ce passage de Samuel Beckett vient à l’esprit : « … il y aura forme nouvelle, et cette forme admettra le désordre et n’essaiera pas de dire que le désordre est au fond autre chose. La forme et le désordre demeurent séparés, celui-ci ne se réduit pas à celle-là. C’est pourquoi la forme elle-même devient une préoccupation ; parce qu’elle existe en tant que problème indépendant de la matière qu’elle accommode. Trouver une forme qui accommode le désordre, le chaos, le gâchis, telle est actuellement la tâche de l’artiste. »
Aujourd'hui, le mot désordre et le mot réel semblent quasi interchangeables. Ce qui importe dans la formulation de Beckett, ce qui paraît indispensable et urgent aujourd'hui, c'est qu'elle ne dit pas que la tâche de l’artiste est de révéler le désordre, ou le déconstruire – mais simplement de l'accommoder au sein d’une forme, afin que nous puissions penser de nouveaux rapports avec lui.
Tout au long de l'Académie, nous avons discuté des potentialités des images et des sons. Ensemble, nous avons regardé un film par jour: des films fabriqués par les professeur.e.s invité.e.s, et des films qui les ont inspiré. Nous avons considéré le cinéma comme un médium de résistance, un outil pour générer de nouvelles critiques, de la matière, des idées, et créer une expérience commune. Nous avons juxtaposé des fictions qui tendent vers le document et des documents qui ouvrent la voie aux fictions, afin d’instaurer un dialogue entre les deux. Nous avons occupé l'espace entre histoire et Histoire. Nous avons envisagé des pratiques élargies, au-delà du film et de la projection, celles qui convoquent d’autres œuvres d’art, des archives, des performances, des textes et des discussions dans l’espace d’exposition, des pratiques qui inventent de nouveaux modèles d’interaction entre l’artiste, le public et la matière.
Images pour notre temps était structuré par des rituels. Chaque journée commençait par une projection, suivie d’une promenade. Un périple à travers la ville de Dakar vers un nouveau lieu où nous parlions des films projetés et de textes échangés. Le programme n'était pas axé sur la production, mais les participants étaient encouragés à travailler sur de petits projets, faire des images et des sons à Dakar, et les partager lors de séances de visionnage hebdomadaires.
Chaque semaine, les professeurs invités ont façonné le cursus: les cinéastes et artistes John Akomfrah, Mati Diop, Alain Gomis, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Alfredo Jaar, Naeem Mohaiemen, la commissaire et écrivaine Rasha Salti et l’historienne du cinéma Nicole Brenez.
À travers les projections, les promenades et les discussions, RAW Académie Session 7 a développé une pensée collective sur un cinéma qui cherche de nouvelles formes pour penser le réel, l’accommoder, avec la conviction qu'une forme peut créer une communauté de circonstance. Une communauté qui existe à cause de la forme, une communauté pour penser les problèmes que pose le réel observé. Ce qui importe, c'est d’éprouver une sensation ensemble. C’est l’expérience commune d’une continuité non fragmentée. Réfléchir à notre rapport au temps alors que nous pensons au désordre. Affirmer la nécessité de repenser notre expérience du temps.
Cette session était ouverte aux cinéastes et aux artistes souhaitant travailler avec des images en mouvement, ainsi qu’aux programmateurs, aux conservateurs, aux chercheurs et aux historiens de l’art attachés à l’image en mouvement.
Éric Baudelaire (1973), est un artiste et cinéaste basé à Paris. Après des études en sciences politiques, il a développé une pratique artistique ancrée dans un travail de recherche comprenant la photographie, l’estampe et la vidéo. Depuis 2010, le cinéma est devenu central à son travail. Ces longs métrages Also Known As Jihadi (2017), Lettres à Max (2014), The Ugly One (2013) et L’Anabase de May et Fusako Shigenobu, Masao Adachi, et 27 années sans images (2011) ont été programmé en festival à Locarno, Toronto, New York, au FID Marseille et à Rotterdam. Lorsqu’il les montre au sein d’expositions, Éric Baudelaire incorpore ses films au sein d’installations comprenant d’autres oeuvres, des performances, des publications et une programmation publique, notamment lors du projet APRÈS au Centre Pompidou (2017) et The Secession Sessions qui a débuté à Bétonsalon à Paris, puis voyagé à Bergen Kunsthall et Sharjah Biennial 12. Ses dernières expositions personnelles ont eu lieu au Witte de With à Rotterdam, au Fridericianum à Kassel, au Beirut Art Center, à Gasworks, Londres, et au Hammer Museum à Los Angeles. Son travail est présent dans les collections du Musée Reina Sofia à Madrid, au MACBA à Barcelona, au MoMA à New York, au Centre Pompidou à Paris et à M+ à Hong Kong.
Calendrier des Sessions Publiques
Images pour notre temps
RAW Académie Session 7
Vendredi 1er novembre à 20h00
Cinéma Empire
Projection de film
Un film dramatique (2019) d’Eric Baudelaire
Qu’est-ce qu’on fabrique ensemble ? Cette question, les élèves du groupe cinéma du collège Dora Maar (93) et Eric Baudelaire, qui les a accompagnés pendant quatre ans depuis leur entrée en 6ème, ne cessent de se la poser. Répondre à cette question – politique en ce qu’elle engage les représentations du pouvoir, de la violence sociale et de l’identité – ce sera pour eux partir à la recherche d’une forme qui rende justice à la singularité de chacun d’entre eux, mais aussi à la consistance de leur groupe. Qu’est-ce qu’on fabrique ensemble, si ce n’est ni un documentaire ni une fiction ? Un film dramatique peut-être, où se découvrent le travail du temps sur les corps et sur les discours, mais aussi la possibilité pour chacun de parler en son nom en filmant pour les autres, et de devenir avec Baudelaire co-auteurs du film, c’est-à-dire déjà sujets de leur propre vie.
Mercredi 6 novembre à 18h00
RAW Material Company
Conférence publique avec Khalil Joreige
La guerre civile libanaise a fait voler en éclats la séparation binaire entre fiction et documentaire, à cause de l’impact de la violence sur les représentations, les images et les récits. Dans le contexte particulier de l’après-guerre civile à Beyrouth, ce qui était réel semblait parfois invraisemblable, et l’éventualité de la fiction était remise en question.
Il est tellement difficile de définir le « réel ». Joana Hadjithomas et Khalil Joreige en recherchent constamment les manifestations, les symptômes et les traces. Ils s’intéressent à ce qui est vivant, ce qui est proche de la « vie ». Alors, lorsqu’ils parlent du réel, de la réalité, de la fiction, ils entendent par là essayer de produire des images ou des récits auxquels ils peuvent croire, en essayant de voir ce qui est invisible, ou impossible à voir...
Vendredi 8 novembre à 20h00
Cinéma Empire
Projection de film
Je veux voir (2008) de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige
Juillet 2006. Une guerre éclate au Liban. Une nouvelle guerre mais pas une de plus, une guerre qui vient briser les espoirs de paix et l'élan de notre génération.
Nous ne savons plus quoi écrire, quelles histoires raconter, quelles images montrer. Nous nous demandons : « Que peut le cinéma ? ».
Cette question, nous décidons de la poser vraiment. Nous partons à Beyrouth avec une « icône », une comédienne qui représente pour nous le cinéma, Catherine Deneuve. Elle va rencontrer notre acteur fétiche, Rabih Mroué.
Ensemble, ils parcourent les régions touchées par le conflit.
À travers leurs présences, leur rencontre, nous espérons retrouver une beauté que nos yeux ne parviennent plus à voir.
Une aventure imprévisible, inattendue commence alors...
Mercredi 13 novembre à 18h00
RAW Material Company
Conférence publique avec Alain Gomis
« L’image, la pensée, etc… par qui, à destination de qui ?
Prendre pour amener ailleurs ? Témoigner ailleurs ? »
Alain Gomis s’interroge sur l’international et le local. Il nous invite à réfléchir à une production artistique qui transcende les barrières linguistiques et culturelles. Le réalisateur propose un processus créatif qui prend en compte nos différences et crée ainsi un langage commun.
Alain Gomis est fondateur du centre Yennenga où formation, création et diffusion cinématographiques et audiovisuelles sont au coeur de la programmation. Il nous invite à réfléchir sur la transmission par les artistes et la nécessité de s’ancrer de manière active à son contexte.
Jeudi 14 novembre à 20h00
Cinéma Empire
Projection de film programmé par Alain Gomis
Otona no miru ehon - Umarete wa mita keredo / Gosses de Tokyo (1932) de Yasujirō Ozu
Une famille et leurs deux jeunes garçons, Keiji et Ryoichi, s'installent dans la banlieue de Tokyo. Les enfants, victimes de brimades de la part de la bande de gosses du quartier, font l'école buissonnière. Le père, mis au courant par l'instituteur, les force à retourner en classe afin qu'ils deviennent « des gens importants ». Les enfants, grâce à l'aide d'un garçon plus âgé, parviennent à se faire accepter et à remplacer l'ancien chef de la bande. Toutefois, ils se rendent compte que leur père, simple employé de bureau, fait quotidiennement des courbettes à son patron, quitte à se rendre ridicule. Il s'ensuit une dispute familiale orageuse. Les garçons ne comprennent pas les explications de leurs parents et décident de se rebeller en arrêtant de manger, « car si devenir quelqu'un d'important dans la société, comme le prêche le père, revient à faire des courbettes devant son chef, alors à quoi bon ? »
Mercredi 27 novembre à 18h00
RAW Material Company
Conférence publique avec John Akomfrah
John Akomfrah est une figure essentielle du cinéma afro-britannique et un précurseur du cinéma numérique. Il a été l’un des fondateurs de l’important mouvement culturel cinématographique Black Audio Film Collective, qui se consacrait à étudier l’identité afro-britannique, les questions de race et de classe sociale, à travers le cinéma et les médias. Sa pratique se concentre sur la mémoire, le post-colonial ainsi que les réalités et expériences de la migration globalement.
Vendredi 29 novembre à 20h00
Cinéma Empire
Projection de films
Handsworth Songs (1986) et The Stuart Hall Project (2013) de John Akomfrah
Handsworth Songs
Un documentaire qui examine les émeutes de 1985 à Londres et dans le quartier de Handsworth à Birmingham. Ces émeutes étaient en réaction aux méthodes répressives de la police dans les communautés noires.
The Stuart Hall Project
Stuart Hall est l'un des théoriciens culturels les plus influents de toute une génération, dans la lignée de Michel Foucault, Gore Vidal ou Alan Ginsberg. Ce documentaire emporte le spectateur dans un tour de montagnes russes à travers les bouleversements, les luttes et les tournants du 20e siècle, siècle de tous les changements politiques et culturels mondiaux.
Mercredi 4 décembre à 18h00
RAW Material Company
Conférence publique avec Alfredo Jaar
“Je n’agirai pas dans le monde avant de l’avoir compris.” - Alfredo Jaar
Selon Alfredo Jaar, il y a un fossé impossible à combler entre la réalité et ses différentes représentations mais le rôle de l’artiste est d’essayer différentes stratégies de représentation qui peuvent aider à communiquer ces différentes réalités.
Dans cette conférence, il nous fera part de sa pratique artistique et de ses inspirations.
Alfredo Jaar est un artiste conceptuel, architecte et cinéaste. Il vit et travaille à New York. Il a réalisé plus de 70 interventions dans l’espace public dans le monde entier. Ses oeuvres sont très souvent politiques et traitent de sujets délicats, tels que le génocide au Rwanda, la pollution environnementale au Nigéria ou les problèmes autour de l’immigration entre les Etats-Unis et le Mexique.
Vendredi 6 décembre à 20h00
Cinéma Empire
Projection de film suivie d’une discussion avec Alfredo Jaar
Mercredi 11 décembre à 20h00
Cinéma Empire
Projection de film
Tripoli Cancelled (2017) de Naeem Mohaiemen
Un homme suit une routine quotidienne où il marche, fume, écrit des lettres, crée des mises en scène, et lit un vieux livre anglais pour enfants Watership Down. Progressivement, on se rend compte qu’il habite dans un aéroport depuis une dizaine d’années, et on devient témoin de son cycle de routine et de réalisation. Mais, est-il prisonnier ou a-t-il choisi cette résidence? Le film a été tourné dans le Terminal International - construit en 1969, fermé en 2001 et conçu par Eero Saarinen - de l’aéroport Elinikon en Grèce. Le scénario est quelque peu inspiré par le père de Mohaiemen qui a été coincé dans ce même aéroport pendant neuf jours en 1977, après avoir perdu son passeport dans un vol du Bangladesh à l’Inde. Tripoli Cancelled est aussi un requiem pour une architecture expansive d’après guerre qui pourrait ne plus exister dans le futur. Ce travail a été commissionné dans le cadre de la documenta 14.
Vendredi 13 décembre à 20h00
Cinéma Empire
Projection de film dans le cadre du Partcours 8
Atlantique (2019) de Mati Diop
Dans une banlieue populaire de Dakar, les ouvriers d’un chantier, sans salaire depuis des mois, décident de quitter le pays par l’océan pour un avenir meilleur. Parmi eux se trouve Souleiman, qui laisse derrière lui celle qu'il aime, Ada, promise à un autre homme. Quelques jours après le départ en mer des garçons, un incendie dévaste la fête de mariage d’Ada et de mystérieuses fièvres s'emparent des filles du quartier. Issa, jeune policier, débute une enquête, loin de se douter que les esprits des noyés sont revenus. Si certains viennent réclamer vengeance, Souleiman, lui, est revenu faire ses adieux à Ada.
Cette projection de film sera suivie d’une discussion avec Mati Diop et Ken Bugul sous la modération d’ Oumy Régina Sambou.